“Ça m’inquiète” : l’ex-patron de Nintendo tire la sonnette d’alarme sur l’avenir du jeu vidéo

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Derrière des chiffres de ventes impressionnants, des consoles qui se vendent par palettes et des blockbusters qui enchaînent les records, il voit surtout un problème : les prises de risques créatives se raréfient. Et ce n’est pas juste une impression de vieux briscard nostalgique de la Wii : le modèle économique actuel pousse les éditeurs à jouer la carte de la sécurité, parfois au détriment des idées neuves.

À retenir en 30 secondes

  • L’ex-président de Nintendo of America, Reggie Fils-Aimé, dit être inquiet du manque d’innovation dans les grosses productions (AAA).
  • Selon lui, les coûts de développement explosent, ce qui pousse les éditeurs à réduire les risques et à recycler les mêmes recettes.
  • Il estime que la vraie créativité vient surtout des studios indépendants, plus agiles et moins verrouillés par la pression financière.
  • Des studios historiquement inventifs, comme Insomniac, se retrouvent assignés à des licences ultra rentables, ce qui limite leurs expérimentations.
  • Pour les joueurs, cela se traduit par plus de suites, de licences et de mondes ouverts “déjà vus”, et moins de surprises.
  • Reggie appelle l’industrie à retrouver un meilleur équilibre entre rentabilité et prise de risque créative.

Reggie Fils-Aimé, la voix d’un vétéran qui n’a pas appuyé sur “Quitter le jeu”

Reggie Fils-Aimé, c’est le visage qu’on associait à Nintendo of America pendant des années. Celui qui annonçait les nouvelles consoles, les directs, les jeux, toujours avec un mélange de sérieux et d’autodérision. En clair : ce n’est ni un troll sur X, ni un joueur rageux sur un forum, mais quelqu’un qui connaît intimement les coulisses de l’industrie.

Quand il explique que l’innovation “n’est pas au rendez-vous” dans de nombreuses grosses productions actuelles, ce n’est pas juste une punchline. Il parle d’une tendance de fond : les gros studios prennent de moins en moins de risques, non pas parce qu’ils n’ont plus d’idées, mais parce que chaque échec peut coûter des centaines de millions à absorber. Dans ce contexte, la tentation est grande de refaire un “open world avec un arbre de compétences et une carte pleine d’icônes”. Ça vous rappelle quelque chose ?

Un problème majeur : l’innovation en berne dans les AAA

Selon l’ancien patron de Nintendo of America, les jeux les plus visibles sont aussi ceux qui innovent le moins. Les AAA, ces superproductions mises en avant dans toutes les conférences, sont devenus des produits à très forte marge, mais à faible marge de manœuvre créative.

On le voit à travers plusieurs phénomènes :

  • Multiplication des suites numérotées ou des reboots de franchises existantes.
  • Recours systématique à des univers connus (super-héros, grandes licences, films, comics, etc.).
  • Gameplay familier : monde ouvert, missions secondaires, collectibles, service en ligne, battle pass…

Le message implicite est clair : on préfère miser sur ce qui a déjà marché. Pour un studio, lancer une nouvelle licence originale est presque devenu un acte de bravoure (ou de folie, selon le directeur financier).

Les coûts de production : le boss final qui fait peur à tout le monde

Derrière ce manque de prise de risque, il y a surtout un énorme éléphant au milieu du salon : le prix des jeux modernes. Développer un AAA aujourd’hui, c’est mobiliser des centaines de personnes pendant plusieurs années, avec des exigences toujours plus hautes en matière de graphismes, de doublage, de cinématiques, de motion capture, de mises à jour post-lancement…

Pour simplifier, on peut voir le paysage actuel comme ceci :

Type de productionBudget de développement (ordre de grandeur)Particularités
Jeu indépendant “solo dev / petite équipe”Quelques dizaines de milliers à quelques millions d’eurosTrès forte liberté créative, risques financiers concentrés sur une petite structure.
Jeu AA (studio de taille moyenne)Plusieurs millions à quelques dizaines de millions d’eurosCompromis entre ambition et contrôle des coûts, innovations ponctuelles.
Jeu AAA “blockbuster”Des dizaines voire des centaines de millions d’eurosPression énorme pour rentabiliser, tolérance minimale à l’échec.

Quand un projet coûte une fortune, la logique économique devient impitoyable : on minimise tout ce qui pourrait faire peur au grand public. Mieux vaut une suite de licence ultra connue, avec des mécaniques déjà validées, qu’une idée brillante mais risquée.

C’est ce que Reggie pointe du doigt : le système de financement lui-même finit par formater les jeux avant même qu’ils soient prototypés. Le problème n’est pas que les créateurs manquent d’imagination, mais que les conditions pour la laisser s’exprimer se réduisent.

Quand Insomniac et les autres deviennent “prisonniers” de leurs succès

Pour illustrer son propos, Reggie cite un exemple qui fait mal au cœur de nombreux joueurs : Insomniac Games. Studio historiquement inventif, capable de créer des licences originales et des mécaniques de gameplay atypiques, il est aujourd’hui largement associé à des productions sous licence très populaires, notamment liées à l’univers des super-héros.

Le problème n’est pas que ces jeux soient mauvais – loin de là. Mais le fait qu’un studio aussi talentueux soit principalement attendu sur des productions “garanties rentables” pose question : combien d’idées complètement nouvelles restent dans les tiroirs, parce qu’elles ne rentrent pas parfaitement dans le plan marketing annuel ?

Insomniac n’est qu’un exemple parmi d’autres. De nombreux studios, une fois “verrouillés” à une grosse licence, deviennent des “usines à suites”. C’est confortable financièrement, mais plus dangereux pour la créativité à long terme.

Les indés : ces petits studios qui portent la flamme de l’innovation

L’un des points clés soulevés par Reggie Fils-Aimé, c’est que la majorité des idées vraiment nouvelles viennent des studios indépendants. Ce sont eux qui osent des concepts surprenants, des directions artistiques étranges, des systèmes de jeu expérimentaux… Bref, ce sont eux qui nous font régulièrement dire : “Ah oui, ça, on ne l’avait jamais vu”.

Pourquoi eux ? Parce qu’ils ont, paradoxalement, moins à perdre :

  • Les budgets sont plus modestes, donc la pression commerciale est moins écrasante.
  • Les équipes sont plus petites, donc les décisions créatives peuvent être prises rapidement.
  • Ils n’ont pas forcément une licence iconique à “protéger”, donc ils peuvent se permettre de surprendre.

Bien sûr, tout n’est pas rose : les indés souffrent beaucoup de la surabondance de jeux, de la difficulté à émerger sur les stores et du financement parfois précaire. Mais en termes de créativité pure, ce sont souvent eux qui rendent le paysage vidéoludique moins monotone.

Pour les joueurs : plus de jeux, mais moins de surprises ?

Du point de vue du joueur, la situation est paradoxale. On n’a jamais eu autant de jeux disponibles, entre les sorties AAA, les indés, les remasters, les free-to-play, les abonnements, les catalogues rétro… Et pourtant, beaucoup ont l’impression de “jouer toujours au même jeu avec un skin différent”.

Les conséquences de cette frilosité créative, ce sont par exemple :

  • Des cartes ouvertes qui se ressemblent beaucoup : tours à grimper, icônes partout, check-list de quêtes secondaires.
  • Des mécaniques de progression quasi systématiques : arbre de talents, loot, niveaux, défis quotidiens.
  • Le sentiment que la plupart des AAA sont conçus pour retenir le joueur le plus longtemps possible plutôt que pour le surprendre.

Et avouons-le : parfois, on aime bien ce confort. Après une longue journée, lancer un jeu qui ressemble à celui d’hier, ce n’est pas si mal. Mais sur le long terme, une industrie qui s’uniformise est une industrie qui prend un risque avec son propre avenir. Si la lassitude s’installe, que se passe-t-il quand même les suites confortables ne suffisent plus ?

Une question d’équilibre : rentabilité vs prise de risque

Ce que Reggie Fils-Aimé souligne, ce n’est pas qu’il faudrait tout envoyer valser et faire uniquement des jeux ultra expérimentaux que trois personnes achètent. Son message est plus nuancé : l’industrie doit retrouver un équilibre.

Quelques pistes qu’on peut dégager de son analyse :

  • Réduire l’échelle de certains projets au lieu de tout miser sur quelques méga-productions.
  • Créer davantage de jeux de taille “AA” : ambitieux, mais raisonnables en termes de budget.
  • Laisser des équipes internes expérimenter sur des projets plus petits, sans objectif de rentabilité immédiate.
  • Mieux valoriser les collaborations avec les studios indépendants, sans les écraser sous des contraintes marketing.

En clair, accepter que tout ne doit pas forcément viser le top des ventes, mais que certains projets servent aussi à maintenir la vitalité artistique du médium. Parce qu’au bout du compte, ce qui fait revenir les joueurs, ce n’est pas seulement la résolution en 4K et les textures ultra détaillées, c’est aussi le moment où un jeu réussit à nous surprendre.

Et demain : vers une nouvelle vague de créativité ou une suite infinie de suites ?

La prise de parole de Reggie Fils-Aimé n’est pas une prophétie catastrophiste, mais plutôt un avertissement : si l’industrie continue de verrouiller sa créativité au nom du “sans risque” financier, elle pourrait finir par se tirer une balle dans le pied. Les joueurs finiront par décrocher, ou se rabattre massivement sur des expériences plus fraîches, souvent indés.

La bonne nouvelle, c’est que rien n’est figé. À chaque génération, des studios ont réussi à surprendre là où on ne les attendait pas. Les contraintes économiques existent, mais le jeu vidéo a toujours été un médium où l’ingéniosité permettait de contourner les limites. La vraie question, au fond, c’est : est-ce qu’on laissera encore assez d’espace aux créateurs pour qu’ils puissent tenter quelque chose de nouveau ?

En attendant, la prochaine fois que vous lancerez un jeu et que vous aurez l’impression de cocher une liste de tâches sur une énième carte ouverte, vous penserez peut-être à ce vétéran de l’industrie qui, quelque part, se dit lui aussi : “ça m’inquiète”.

FAQ – Comprendre le coup de gueule de l’ex-patron de Nintendo

Pourquoi l’ex-président de Nintendo s’inquiète-t-il autant ?

Parce qu’il observe une baisse de l’innovation dans les grosses productions. Selon lui, les jeux les plus médiatisés prennent moins de risques, principalement à cause de coûts de développement colossaux qui incitent les éditeurs à privilégier des formules éprouvées.

Les AAA manquent-ils vraiment d’originalité ?

Tous, non. Mais la tendance générale va dans ce sens : beaucoup de AAA reposent sur des mécaniques et des structures déjà vues, avec des suites, reboots, spin-offs et un recours massif à des licences déjà célèbres. L’originalité n’a pas disparu, mais elle est plus rare dans le haut du panier budgétaire.

Les studios indépendants sont-ils la solution ?

Ils ne sont pas une solution magique, mais ils jouent un rôle crucial. Grâce à leur taille plus réduite et à des budgets plus contenus, ils peuvent se permettre d’explorer des idées plus audacieuses. Beaucoup de concepts qui semblent ensuite “évidents” dans les productions plus grosses ont d’abord été testés dans la scène indé.

Est-ce que la hausse des coûts est inévitable ?

En partie, oui : les attentes techniques des joueurs, la sophistication des moteurs, le contenu des mondes et des scénarios font logiquement monter la facture. Mais l’industrie pourrait choisir de ne pas systématiquement viser toujours plus grand et plus cher, et d’investir davantage dans des projets intermédiaires moins risqués.

En tant que joueur, que puis-je faire ?

On n’a pas un bouton “patcher l’industrie”, mais on peut envoyer des signaux clairs : acheter (ou au moins tester) des jeux qui sortent un peu des sentiers battus, soutenir des indés, parler positivement des expériences originales et pas seulement des grosses licences annuelles. Ce n’est pas une révolution, mais ce sont ces petits choix qui montrent qu’il existe une vraie demande pour la nouveauté.

Faut-il être pessimiste pour l’avenir du jeu vidéo ?

Pas forcément. Le message de Reggie Fils-Aimé ressemble plus à un “attention, ne vous endormez pas” qu’à un “tout est foutu”. L’industrie a déjà connu plusieurs cycles de remise en question. Si les acteurs majeurs prennent ces signaux au sérieux et réajustent leurs priorités, on pourrait très bien assister à une nouvelle vague d’innovations, aussi marquante que celles des générations précédentes.

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